Il y a 20 ans, Eidos et Core Design sortaient Tomb Raider, premier épisode d’une longue série mettant en scène Lara Croft, aventurière britannique devenue au fil du temps l’une des icônes du jeu vidéo. Malgré cette prestigieuse renommée acquise en l’espace de quelques semaines seulement, la série des Tomb Raider a perdu de son aura à mesure que les évolutions technologiques se multipliaient. Le jeu vidéo a évolué en laissant derrière lui une héroïne qui a eu trop tendance à se reposer sur ses acquis et qui n’a pas assez su se moderniser. L’héritage de Tomb Raider a alors forcément quelque peu disparu avec le temps mais les premiers épisodes gardent néanmoins un charme indéniable et restent les témoins d’une époque où le gameplay était roi.
Que ce soit les épisodes modernes —comprendre Tomb Raider 2013 et Rise Of The Tomb Raider— ou anciens —principalement les cinq premiers—, la série des Tomb Raider illustre parfaitement ces jeux que l’on aime classer dans la catégorie Action/Aventure, des titres qui mêlent plateforme 3D à des affrontements armés, le tout saupoudré de quelques énigmes plus ou moins difficiles. Depuis ses débuts, Lara Croft escalade chaque paroi qui s’offre à elle, perce des mystères vieux de plusieurs siècles, et se débarrasse des gardes lourdement armés ou des bêtes sauvages à l’aide d’un puissant arsenal.
A une époque où les cheat codes faisent encore partie du paysage vidéo-ludique, dans la seconde moitié des années 90, la plateforme était l’ingrédient principal de l’action/aventure. Des nos jours, les choses ont changé et ce sont les combats qui priment. Pour résumer de manière très sommaire, les arènes s’enchainent inlassablement, des hordes d’ennemis sont éliminées par un joueur accroupi derrière un petit abri en pierre, et les quelques minutes d’escalade ne servent plus qu’à relier les arènes entre elles.
Il y a une raison à cet avénement de l’action: avec le temps, les joutes armées ont énormément gagné en intensité. L’introduction (tardive) d’une caméra placée au dessus de l’épaule de Lara Croft lorsqu’elle pointe son arme a permis de dynamiser chacun des affrontements; cela tranche alors significativement avec cette visée automique peu gratifiante qui demandait, autrefois, de bondir dans tous les sens afin d’éviter les projectiles. Les ennemis sont également davantage spécialisés. Certains préfèrent le tir de précision (Sniper), d’autres le combat rapproché (fusil à pompe) ou les gros dégâts (lance-grenades). Malgré un grand nombre d’approximations, l’IA a également fait un pas en avant; elle essaye de déloger Lara Croft de sa cachette, ce qui oblige alors le joueur à être mobile et à observer au préalable les environs, d’autant plus que certains éléments du décor peuvent servir de pièges mortels.
Plus dynamique, l’action a aussi gagné en variété. Les affrontements directs laissent parfois place à des passages dédiés à l’infiltration dans lesquels Lara peut se cacher dans des buissons, grimper dans les arbres, utiliser des objets pour créer des diversions ou encore éliminer silencieusement des adversaires au corps à corps ou bien à distance. A contrario, il y a aussi des situations plus impressionnantes, plus explosives, presque hollywoodiennes, où tout s’effondre au rythme des explosions. Une jolie manière alors d’exploiter la puissance des machines actuelles, même si au final ces passages ont plus pour objectif d’en mettre plein la vue aux joueurs que de créer une quelconque impression de danger, tout paraissant en fin de compte très artificiel.
Comparé aux derniers épisodes, les premiers Tomb Raider paraissent beaucoup plus simples. Cela est lié aux graphismes, bien sûr, mais ce côté brut permettait alors d’obtenir une ambiance unique, ce sentiment d’être livré à soi-même dans un monde inconnu et hostile, alors que désormais, Lara Croft a en quelque sorte endossé le rôle de chasseur. Elle est une menace pour tous les ennemis présents dans les environs. Crystal Dynamics a beau jouer la corde de la survie et de l’inexpérience, la Britannique n’en reste pas moins une véritable machine de guerre qui massacre violemment des centaines de soldats lourdement armés. Ce côté chasseur est renforcé par des mécaniques de jeu moderne qui rendent le joueur souvent surpuissant: la santé se régénère toute seule, les compétences à acquérir donnent accès à des techniques extrêmement efficaces, et il est possible d’afficher en surbrillance les éléments importants du décor. Lara Croft est presque omnisciente.
Autrefois, il n’était pas question de gagner des points d’XP après avoir accompli des actions nous détournant de l’objectif principal. Il n’y avait pas non plus cette vision détective et cette balise qui indiquait la direction à prendre. Au cours de ses premières aventures, Lara Croft ne bénéficiait que d’un nombre très limité d’informations. Elle devait aussi faire attention aux nombreux pièges mortels dressés sur son chemin, dénicher elle-même de petites et grandes trousses de soin pour se soigner, gérer son stock de fusées éclairantes lorsqu’il fallait évoluer dans l’obscurité. . . Les premiers Tomb Raider sont naturellement amputés de tous les éléments de design dits modernes, ce qui peut alors donner l’impression que ces titres manquent de profondeur dans leur gameplay. Cela est vrai en ce qui concerne l’action, beaucoup moins lorsqu’il s’agit de l’exploration et de la plateforme.
Si l’action a parfaitement évolué au cours des années, la plateforme a quant à elle régressé au fil des générations. Pour simplifier, il suffit maintenant de marteler le bouton saut pour arriver à destination; un reproche que l’on peut faire à de nombreux jeux, comme Uncharted par exemple. C’est d’autant plus agaçant qu’autrefois, Tomb Raider proposait une expérience forte dans ce domaine reposant sur une précision extrême —peut-être même trop parfois, le jeu pouvant être très difficile et donc frustrant.
Les niveaux étaient en quelque sorte tous quadrillés et conçus à l’aide de blocs. Lara se contrôlait difficilement —c’était un « tank » diront certains— mais ces commandes lourdes étaient parfaitement adaptées à ce système de jeu d’autant plus que l’on parle d’une époque où la démocratisation des sticks analogiques sur les manettes n’avait pas encore eu lieu. Ces jeux étaient donc principalement conçus pour être joués avec une croix directionnelle et reposaient sur une logique de déplacement bien pensée. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si on retrouve sur internet des vidéos de personnes capables de faire des niveaux les yeux bandés. Pour résumer, afin de réaliser un long saut, il fallait marcher jusqu’au bord de la plateforme, faire un petit bond en arrière, prendre son l’élan, maintenir la touche saut au bon moment puis, une fois en l’air, appuyer sur un nouveau bouton afin de s’agripper. L’opération peut paraître quelque peu complexe, mais elle permettait finalement de garder une certaine tension à chaque étape de l’opération. Le joueur était véritablement impliqué dans l’exécution de ces sauts qui représentaient alors un vrai danger, loin de ces bonds quelques peu téléguidés qui ne sont qu’une simple formalité.
Dans sa vidéo The Mechanics of Movement, l’excellent Mark Brown (Game Maker’s Toolkit) revient justement sur l’évolution de la plateforme dans Tomb Raider (de 0:00 à 3:30). Si vous avez du mal avec l’anglais, pensez à activer les sous-titres français.
L’exploration était également mise en avant alors que les niveaux étaient beaucoup plus petits que de nos jours. L’absence d’une carte globale des lieux ou d’un GPS forçait le joueur à tout analyser. Il n’était pas tenu par la main. Il devait lui même trouver les interrupteurs —parfois extrêmement bien cachés dans le décor—, dénicher des clefs à enfoncer dans des serrures géantes, puis comprendre le fonctionnement du niveau, d’autant plus que les courses contre la montre étaient omniprésentes. L’absence d’indications visuelles renforçait aussi le sentiment d’une héroïne perdue dans un lieu isolé alors que les traces de peinture blanches font office de fil d’ariane dans les derniers épisodes. Couplé aux sauts modernes, tout peut alors paraître trop facile. Dans notre test de Rise Of The Tomb Raider, nous évoquions même « l’impression de jouer en pilotage automatique » et d’être « sur des rails tellement tout est balisé sans subtilité. »
Il est néanmoins difficile d’imaginer un jeu en 2016 épouser les mêmes commandes que les premiers Tomb Raider. On aurait vite fait de dire qu’il s’agit là d’un gameplay archaïque et dépassé. Il faut bien comprendre que ces jeux étaient adaptés aux moyens de l’époque et que les standards ont depuis évolué. Le rythme est depuis devenu plus soutenu, l’action a fait peau neuve et la courbe de progression diffère complètement. Ce n’est pas vraiment un problème de forme mais plutôt de fond. Si les affrontements armés ont gagné en complexité, la plateforme est devenue beaucoup plus simple. Il n’est plus question de maîtriser chacune des mécaniques de saut mais de progresser rapidement et facilement dans un univers balisé afin que le joueur ne puisse trouver le moyen de se perdre ou de s’ennuyer. La progression est plus fluide et vise aussi à distribuer à tour de bras des récompenses à base de points d’XP et de multiples collectibles cachés dans chaque recoin. La narration est aussi omniprésente et le joueur endosse finalement plus le rôle d’accompagnateur que celui d’aventurier. Les nouveaux Tomb Raider ne font finalement que suivre les tendances actuelles en adoptant une approche plus accessible et plus spectaculaire, quitte à perdre en personnalité. Cela semble cependant la bonne option pour Square-Enix et Crystal Dynamics puisque le reboot de Tomb Raider est le jeu le plus vendu de la série, tandis que sa suite, Rise Of The Tomb Raider, est un grand succès critique.