Ubisoft change sa manière de faire et a annoncé la disparition de la mini-map pour les futurs Far Cry 5 et Assassin’s Creed Origins. Si pour certains, cela montre l’influence qu’a eu The Legend Of Zelda: Breath Of The Wild, on n’oublie pas que le développement d’un jeu s’étale sur plusieurs longues années. Cette décision rappelle en fait qu’Ubisoft souhaite redonner le pouvoir aux joueurs en renforçant l’immersion, ce qui fait écho à la philosophie générale d’un certain Far Cry 2.
C’en est presque devenu une mauvaise habitude: garder les yeux rivés sur l’un des angles de son téléviseur pendant que l’on joue. On se fiche du personnage central. On se moque des décors. On se fout de tout ce qu’il y a autour de notre avatar. A la place, on observe attentivement cette mini-map, ce cercle plus ou moins grand grand qui rend le joueur omniscient. Cette carte miniature indique le chemin à prendre. Elle révèle aussi la position des ennemis. Parfois, elle dévoile la direction dans laquelle ils regardent. Dans d’autres cas, on peut découvrir la position exacte d’un objet. On n’explore plus les environs: on fait uniquement confiance à cette mini-map.
En 2008, à la GDC, l’illustre Peter Molyneux (Fable) était revenu à sa manière sur cette fonctionnalité: « Les mini-maps sont merdiques. Elles sont merdiques car vous faîtes des jeux à plusieurs millions de dollars et les gens y jouent en regardant uniquement ces petits points.«
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Dans les jeux en monde-ouvert, par exemple, les indications visuelles ont toujours été présentes. Les premiers GTA avaient ainsi une flèche pour guider le joueur. Lors des premiers épisodes 3D de la série, à l’instar de Driver, une mini-map traditionnelle, où chaque rue était dessinée, est apparue. Certains titres, plus réalistes, ont néanmoins essayé de nouvelles choses. The Getaway plaçait ainsi ses indices au niveau des clignotants.
Bien que linéaires, certains jeux d’action sont aussi concernés. On se souvient de Metal Gear Solid à la fin des années 90. Pour aider Snake, Mei Ling avait mis au point le radar Soliton. C’était appréciable car dans le titre d’Hideo Kojima, l’angle de caméra était fixe. Suivant les zones de jeu, il était difficile de voir devant soi en avançant.
De nos jours, ces mini-maps sont multi-fonctions, ce qui n’a que peu de sens dans les FPS ou jeux d’action-aventure avec une caméra libre. L’objectif est en fait de rendre l’expérience la plus accessible possible, quitte à tenir le joueur par la main.
Au cours de ses récentes productions, Bethesda a toujours refusé de succomber à la mode des mini-maps. Le résultat est pourtant le même. Les derniers Fallout ou Skyrim reposent sur un système de boussole intelligente; celle-ci montre la direction à prendre pour atteindre un objectif. La progression est moins dirigiste qu’avec une mini-map. On a bien plus l’impression d’explorer par soi-même les environs. Mais désormais, ces jeux sont uniquement construits autour de cette idée. Cela signifie qu’en supprimant cette indication visuelle, il est alors difficile —voire impossible— de remplir son objectif.
Comme le souligne Felipe Pepe dans un excellent article publié sur Gamasutra, un jeu comme Morrowind n’avait pas besoin de ce procédé. Les explications, orales ou écrites, étaient suffisamment claires pour atteindre son objectif. Ce n’est plus le cas désormais. C’est pour cette raison qu’un fan de Skyrim a conçu un mod afin de réécrire les énoncés de chaque quête: le joueur sait alors où il doit se rendre sans pour autant se fier constamment à cette boussole magique.
L’excellente chaîne Youtube Game Maker’s Toolkit, de Mark Brown, s’est attardée à plusieurs reprises sur ces mini-maps et autres flèches. Il décrit alors ces fonctionnalités comme des mécanismes qui « gâchent l’expérience » tout en regrettant que certains jeux soient uniquement bâtis autour de ces systèmes. Au contraire, il salue Naughty Dog qui, dans Uncharted et The Last Of Us, n’a jamais succombé à cette vilaine mode alors que d’autres jeux linéaires reposent sur un HUD surchargé. Pour guider celui qui tient la manette, le studio américain utilise un jeu de couleurs et de subtiles indications visuelles qui attirent le regard vers la bonne direction.
Abonnés aux jeux à mini-map, Ubisoft semble prêt à faire une petite révolution. Que ce soit Assassin’s Creed Origins ou Far Cry 5, aucun n’aura droit à cette carte miniature. « Nous voulions se débarrasser du cliché ‘aller d’une icône à une autre’ sur la mini-map. Nous voulons que les joueurs regardent le monde autour d’eux. C’est pourquoi nous passons de la mini-map à la boussole. Vous continuez de recevoir des informations utiles mais cela implique davantage le joueur. » explique ainsi Jean Guesdon, Directeur Créatif d’AC:O, à Game Informer.
On retrouve la même justification chez Drew Holmes, scénariste de Far Cry 5: « La disparition de la mini-map est faite pour que vous ne regardiez plus un coin de votre téléviseur en vous disant ‘qu’est-ce qu’est nouveau dans ce monde?’«
Supprimer la mini-map dans Far Cry est également un défi pour l’équipe de développement qui doit réussir à rendre l’univers du jeu cohérent. « Vous devez en fait faire attention au monde et vous assurez que tout le côté artistique réussisse à créer des indications visuelles qui permettent aux joueurs de se repérer », déclare Drew Holmes. « Le jeu indique moins où il faut aller et c’est désormais le joueur qui se dit ‘où est-ce que j’ai envie d’aller, qu’est-ce que j’ai envie de faire aujourd’hui.’«
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Indirectement, Far Cry 5 opère un retour aux sources et reprend l’une des bases de Far Cry 2, le premier titre de la série développé par Ubisoft. Dans ce jeu sorti en 2008, l’immersion était au coeur même de l’expérience. Ce titre se voulait un minimum réaliste. Les indications à l’écran étaient rares, ce qui renforçait le thème principal du jeu: la survie dans un monde extrêmement hostile. L’absence de mini-map fragilisait le joueur. Il se trouvait alors dans l’inconnu. Il était perdu, livré à lui même.
En voiture, on pouvait faire confiance au GPS embarqué ou bien sortir une grand carte en papier, quitte à ne plus regarder la route. On notera aussi que les panneaux des lieux s’affichaient en rouge. Bref, on était immergé et on ne dépendait plus d’une simple mini-map. Dans Far Cry 2, on était actif et non passif.
Supprimer la mini-map est un geste fort dans cette quête de redonner le pouvoir aux joueurs. Ces derniers ne doivent plus se voir dicter ce qu’ils doivent faire. C’est en tout cas la volonté d’Ubisoft.
En novembre dernier, Serge Hascoët, dans les colonnes du journal LeMonde, annonçait ainsi que les futures productions du développeur offriraient une plus grande liberté à chacun. « Je ne veux plus que [le joueur] subisse l’histoire créée par quelqu’un. Nous avons encore des jeux comme ça, mais je demande de plus en plus que l’on laisse le joueur écrire sa propre histoire, qu’il se fixe lui-même un objectif long terme, identifie les différentes opportunités qui s’ouvrent à lui, choisisse et ne suive pas un chemin décidé pour lui« , expliquait ainsi le directeur créatif du géant français.
C’est sans doute là une prolongation de l’idée d’un monde ouvert et vivant, le crédo d’Ubisoft avec les Games As A Service. Chacun est alors libre de vivre sa propre aventure. On suppose qu’à l’avenir, l’éditeur et développeur français continuera dans cette voie.
Il sera alors intéressant de voir si cette tendance réussit à s’imposer alors que de nombreux joueurs aiment être guidés. Ils ne veulent pas perdre de temps et souhaitent être le plus rapidement possible au coeur de l’action. Après tout, qui a envie de se perdre pendant de longues minutes et passer à côté de nombreux événements?
Récemment, le très bon Horizon: Zero Dawn a zappé la mini-map pour une boussole façon Skyrim avec des indications omniprésentes. Prochainement, Days Gone proposera une petite carte sur laquelle apparaissent les ennemis. Cela influera certainement sur le regard du joueur: pour analyser les menaces, il vaudra mieux jeter un coup d’oeil sur la mini-map plutôt que regarder devant soi.
La grande interrogation reste Red Dead Redemption 2. Le jeu le plus attendu de 2018, un titre dont on ne sait rien mais dont on attend beaucoup. Historiquement, Rockstar adore les mini-maps. Mais cela a forcément un impact sur l’expérience. On se souvient par exemple des ennemis qui apparaissaient comme par magie sur la mini-map. Le premier Red Dead Redemption avait néanmoins une excellente idée: proposer des chasses au trésor à l’aide d’un simple dessin sur une carte en papier.
Ces quêtes secondaires venaient récompenser les joueurs les plus attentifs et les plus aventuriers. Difficile d’imaginer que c’était là un moyen pour Rockstar de préparer le terrain avant une hypothétique disparition de la mini-map dans Red Dead Redemption 2. Le Far West est pourtant un terrain de jeu parfait pour tenter ce genre d’expérience. On est loin des labyrinthes formés de gratte-ciel. La vue est dégagée, les repères visuels s’intègrent alors plus facilement dans le paysage. Avec son influence, si Rockstar décidait de faire l’impasse sur la mini-map, cela pourrait signifier la mise à mort de cette fonctionnalité. Cela semble toutefois difficilement possible. Ubisoft devra sans doute faire cavalier seul et imposer lui-même cette nouvelle philosophie de jeu.