Depuis ses débuts, le jeu vidéo évolue sans arrêt. Il y a eu la 3D, le jeu en ligne, l’essor des indépendants, les DLC. . . Depuis quelques temps, on remarque une érosion des ventes de blockbusters, ces jeux dits AAA, une notion liée au gros budget alloué à ces titres. Pour expliquer ce phénomène, on évoque souvent un effet de lassitude. Mais ne serait-ce pas tout simplement la difficulté qu’éprouvent ces jeux à se faire une place au milieu des Games As A Service (jeux en tant que service) qui, petit à petit, bouleversent nos habitudes?
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On appelle les Games As A Service —Jeu en tant que service littéralement—, ces titres continuellement mis à jour par un développeur, que ce soit par des patchs correctifs ou par l’ajout de contenus. C’est un modèle qui existe depuis très longtemps sur mobile et PC, et qui, petit à petit, envahit les consoles. Pour mieux expliquer ce concept, on peut prendre l’exemple Street Fighter IV et Street Fighter V. Le premier cité a reçu plein de suites qui ont élargi le casting et revu en profondeur certaines mécaniques. L’autre a été bâti pour durer. Street Fighter V n’aura pas de suites sur cette génération, mais à coup de season pass et autres màj, il offre continuellement une expérience de jeu plus riche. Capcom déclare d’ailleurs que cet épisode sera actif jusqu’en 2020, preuve que l’éditeur japonais est plutôt ambitieux (et optimiste). Dans le même genre, GTA Online doit son incroyable longévité à tous les DLC qu’il reçoit chaque mois. On pourrait presque plus parler d’une plateforme que d’un simple jeu. Il se dit même que l’add-on solo de GTA V a été écarté du fait de l’immense succès de ce mode multijoueur. Pour les studios, cela modifie naturellement leur manière de travailler puisque la commercialisation d’un jeu ne signifie pas pour autant la fin de son développement.
Les Games As A Service ont pour objectif de retenir le plus longtemps possible les joueurs, de les fidéliser un maximum. C’est ce que les Américains appellent l' »engagement » et c’est accessoirement l’une des raisons qui pousse les éditeurs à davantage parler de nombre de joueurs enregistrés ou bien du nombre de joueurs actifs chaque mois (MAU) plutôt que des ventes globales. Désormais, il s’agit de viser le long terme et donc de s’assurer des revenus sur une plus longue période grâce à des microtransactions ou des contenus téléchargeables. Le but n’est plus de diviser les joueurs avec des map-packs mais au contraire de les encourager à revenir de manière régulière grâce à du contenu gratuit, des événements temporaires ou des mises à jour qui équilibrent le jeu, après avoir sondé la communauté. Un procédé notamment rendu possible grâce à l’assouplissement des règles autrefois édictées par Sony et Microsoft qui avaient l’habitude de faire lourdement payer les éditeurs et développeurs pour la simple diffusion d’un patch —on parlait de 40 000 dollars (!). En allongeant leur durée de vie, ces titres trustent également un peu plus les charts chaque mois, grâce au bouche à oreille et à la disparition de cette vilaine impression qu’un jeu est forcément dépassé/mort car déjà disponible depuis un bon petit moment.
Il y a tout juste un an, Ubisoft avait officialisé cette nouvelle stratégie au cours d’une réunion avec ses actionnaires. Deux jeux à la trajectoire opposée montrent l’entière détermination du géant français à aller dans cette voie des Games As A Service: d’un côté Rainbow Six Siege et de l’autre, The Division, deux jeux estampillés Tom Clancy’s au passage. Le premier cité n’a jamais été aussi populaire que maintenant. Le lancement du jeu a été compliqué mais les développeurs ont rectifié le tir en multipliant les grosses mises à jour, tout en ajoutant des cartes, des personnages et divers skins de plus ou moins bon goût. The Division a quant à lui connu un départ canon, bien aidé par une puissante campagne marketing et une succession de bandes-annonces assez impressionnantes. En l’espace de quelques semaines, les joueurs ont cependant vite déserté les rues de ce New York virtuel. Massive, son studio de développement, a alors opéré de grands changements en repoussant les futures extensions payantes pour se focaliser sur une grosse mise à jour 1.4 qui a revu en profondeur plusieurs mécaniques du jeu, dont l’équilibrage général et le time to kill (TTK), c’est-à-dire le temps qu’il faut pour abattre un ennemi. Un choix payant puisque The Division a connu un regain d’activité depuis ce gros patch à l’automne dernier.
Left: Rainbow Six Siege – Number of players on PC keeps growing.
Right: The Division – High start but quick drop off. Only recent growth. pic.twitter.com/4Yk2gzdcDF
— Daniel Ahmad (@ZhugeEX) February 5, 2017
Si on reste du côté de l’éditeur français, The Crew et Steep sont eux aussi des Games As A Service. Le jeu de course d’Ivory Tower reçoit ainsi chaque année des extensions et Steep accueille gratuitement des massifs enneigés à explorer. Prévu pour la Saint Valentin, For Honor devrait à l’évidence suivre le même chemin. Ce jeu d’action qui entend surtout privilégier les affrontements en ligne adopte un modèle économique qui rappelle beaucoup celui de Rainbow Six Siege: à chaque saison, deux maps seront introduites gratuitement et deux nouveaux combattants rajoutés au casting, eux qui pourront être acquis grâce à une monnaie virtuelle ou bien en sortant de son fourreau sa carte bleue. On peut aussi imaginer que des défis quotidiens seront de la partie afin de pousser les joueurs à se connecter au moins une fois toutes les 24 heures.
Ubisoft n’est pas le seul à miser sur les Games As A Service. Il se dit que Microsoft est lui aussi tombé sous le charme de cette tendance en 2012. A tel point que le constructeur américain aurait à l’époque menacé Lionhead de fermeture s’il refusait de développer un jeu dans cette veine. La suite est connue: le projet Fable 4 fut donc annulé, le studio anglais se lança dans Fable Legends (un F2P) et ce dernier a finalement disparu en même temps que le studio anglais en 2016. On peut facilement imaginer qu’en cette fin d’année 2017, Sea Of Thieves , par Rare, opte pour ce modèle du jeu en tant que service avec des mises à jour fréquentes et des micro-transactions.
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A sa manière, Destiny a lui aussi suivi le chemin du Game As A Service à coup d’extensions et d’événements uniques. On peut même penser que sa suite, prévue pour cette année si tout se passe bien, ira encore plus loin pour rendre cet univers plus vivant et donc captivant. Electronic Arts laisse quant à lui entendre que Titanfall 2 est bâti pour durer. Malgré des débuts difficiles —il était coincé entre Battlefield 1 et Call Of Duty: Infinite Warfare—, le jeu de Respawn résiste et a annoncé toute une série de DLC gratuits, sans doute dans le but de faire grossir sa base de joueurs.
On ne peut cependant pas réduire les Games As A Service à de simples expériences multijoueur. Le dernier Hitman appartient aussi à cette catégorie. Beaucoup diront qu’il s’agit d’un jeu épisodique façon Life Is Strange ou les innombrables productions Telltale, mais la vérité est ailleurs. S’il a bien reçu à un rythme régulier de nouvelles missions aux quatre coins du globe, toutes ont été accompagnées par d’importantes mises à jour qui ont sans cesse amélioré l’expérience, avec par exemple l’apparition d’une nouvelle difficulté. De même, afin de fidéliser chacun de ses joueurs, Hitman s’est mis aux cibles éphémères ainsi qu’aux contrats Escalade, comprendre des défis aux différents critères. Tout a été fait pour pousser sans cesse les joueurs à lancer et relancer Hitman, sans pour autant créer un sentiment de lassitude.
On serait presque tenté par moment d’évoquer une immense early-access puisque le bien final ne ressemble que de loin au produit de base, tant il évolue sans cesse. Sur PC, cela existe depuis des années, surtout grâce aux F2P. Sur consoles, l’avènement du Games As A Service est plus récent. Une grande majorité des machines est connectée, les joueurs acceptent de payer pour jouer en ligne, il est devenu normal de télécharger des patchs de plusieurs Go à intervalles réguliers et retrouver un ensemble de DLC regroupés dans un Season Pass ne surprend plus. Et si on a surtout tendance à évoquer des jeux PS4/One dans cet article, n’oublions pas que Nintendo a parfaitement adopté ce modèle avec Splatoon dont les mises à jour ajoutant du contenu ou les événements appelés Splatfest ont rythmé la vie du jeu.
Indirectement, les Games As A Service sont également pointés du doigt désormais et sont parfois désignés comme les responsables des performances moyennes de certains jeux. Cet automne, Dishonored 2 et Watch Dogs 2 ont ainsi fait moins bien que leurs prédécesseurs outre-manche, et sans doute partout ailleurs dans le monde. Comme le dit si bien Sergey Galyonkin, créateur de Steam Spy, les joueurs ont désormais accès à une plus grande offre, et forcément, plus il y a de titres, plus on est à même d’en trouver un qui corresponde à ce que l’on recherche vraiment. Et puisque ces jeux sont construits pour durer et proposer de nouvelles choses à un rythme régulier, ils font de l’ombre aux autres productions. La disparition des jeux strictement solo et offline n’est toutefois pas encore à l’ordre du jour. Ils font presque office de bouffée d’oxygène et de parenthèse avant qu’on ne se replonge dans un de ces jeux en tant que service. On note aussi que les jeux de sport comme FIFA et NBA 2K continuent de réaliser d’extraordinaires performances malgré leur rythme de sortie annuel. Mais ils font presque figure d’exception car ailleurs, beaucoup ont commencé à faire leur révolution.