Après une courte période de répit, les sorties jeux vidéo reprennent et c’est le même constat qui s’impose: comment avoir le temps de jouer à tout?
C’est peut-être une erreur de ma part, mais il semblerait qu’il n’a jamais été aussi difficile de jouer à tout. Ce n’est pas une question de moyens. Après tout, il y a sans cesse des promos. Non, le problème, c’est le temps. Il devient compliquer de jouer et il faut sans cesse faire des choix. La mode est aux jeux longs, voire très longs. Un titre comme Assassin’s Creed Odyssey demande par exemple un temps colossal pour dévoiler tous ses secrets. Et on ne parle là que de l’aventure principale. Le jeu d’Ubisoft a ainsi droit à des DLC payants ou du contenu additionnel gratuit. Le but est qu’on revienne toujours à cette aventure hellénique.
Les Games As A Service veulent tout notre temps
Du côté d’Ubisoft, comme chez de nombreux éditeurs, c’est la notion de jeu-service qui domine. C’est une tendance dont on parle depuis maintenant très longtemps et qui, petit à petit, a fait son nid dans presque toute l’industrie. C’est le cas chez Electronic Arts (ex: Battlefield V) ou bien Square Enix dont le jeu Avengers reposera certainement sur cette philosophie.
Le but des Games As A Service est de capter l’attention des joueurs; il faut les retenir le plus longtemps possible. Quelqu’un qui revient sans cesse sur un jeu a de fortes chances d’effectuer des dépenses fréquentes via des micro-transactions. Cela signifie qu’avec un seul titre, les studios peuvent maintenant générer des revenus sur le long terme. Pour retenir les joueurs, les développeurs usent différentes techniques.
Il y a notamment ces défis quotidiens et hebdomadaires, ou la démocratisation des Battle Pass; il faut désormais payer pour avoir le droit de débloquer ensuite du contenu à travers de nombreuses heures de jeu. C’est presque une routine qui s’installe: chaque jour, on lance encore et encore les mêmes jeux pour avoir droit à sa petite récompense virtuelle.
Parfois, c’est uniquement des points d’expérience supplémentaires qui sont acquis. Ces derniers serviront alors plus tard, pour débloquer par exemple un personnage dans Rainbow Six Siege. Pour peu qu’on se soit lancé dans plusieurs jeux-service, il devient difficile de jongler avec tous les titres. Autre point intéressant et souvent oublié, il y a aussi la notion de poids à prendre en compte. Sur consoles, beaucoup ont des disques durs de 500Go. Ils ne peuvent donc accueillir qu’un nombre limité de jeux.
Quelle place pour Anthem et The Division 2?
Comme le rappelle Karol Severin, analyste jeu vidéo chez Midia Research, plus un éditeur occupe une part importante sur un disque dur, moins il reste de place pour un concurrent. De là à imaginer que certains studios gonflent artificiellement le poids de leur jeu… La stratégie de Rockstar avec Red Dead Redemption 2 a en tout cas été intéressante. Avec ses 100Go, cet open-world a probablement poussé pas mal de monde à supprimer un ou deux titres. Et pour sauver le soldat GTA V, pas mal de bonus sur GTA Online ont été offerts en cas de précommande. Une façon comme une autre de pousser chacun à conserver ce jeu.
Pour en revenir aux Games As A Service, ils peuvent aussi représenter une forme de confort. Si on a peu de temps pour jouer, on privilégiera une valeur sûre. Ou bien une courte expérience; les jeux indés sont les parfaits compagnons des jeux-service. Si on est pressé, il y a peu de chance pour qu’on se lance dans un autre titre qui demande un grand investissement.
Le 22 février, Anthem atterrira sur PC, Xbox One et PlayStation 4. Trois semaines plus tard, le 15 mars, ce sera The Division 2. Ces productions ont été bâties pour durer dans le temps. A leur sortie, elles vont forcément évincer des jeux, que ce soit de manière temporaire ou définitive. On peut aussi évoquer une terrible concurrence entre ces deux jeux, même s’ils sont bien différents; l’un penche du côté de la science-fiction, l’autre se déroule dans un univers plus réaliste malgré ses mécaniques de jeu de rôle.
Toutes les sociétés spécialisées dans le divertissement sont concernées
Le temps n’est pas extensible. On assiste maintenant à la guerre du divertissement, à la guerre du temps d’écran. Les récentes déclarations de Netflix vont dans ce sens. La plateforme de streaming ne craint pas ses concurrents. Ses adversaires ne sont pas HBO ou Hulu; il ne s’agirait alors que d’une question de contenu, chose que l’on peut facilement changer. Non, la menace qui plane au-dessus de Netflix, ce sont les jeux vidéo. Lorsque quelqu’un est sur Fortnite ou un autre jeu, il lui est impossible d’être sur Netflix. On retrouve là encore cette notion de choix. La plateforme de Streaming veut que la décision aille dans son sens. C’est peut-être pour cela qu’un projet comme une série TV Resident Evil a été signée. Cela permettra sans doute de recruter du côté des joueurs.
Même dans la sphère du football, on entend le même discours. Peter Moore est un ancien haut dirigeant de SEGA, Electronic Arts et Microsoft. Il est désormais à la tête de Liverpool, l’actuel leader du championnat de foot anglais. Dans une interview donnée au magazine Arabian Business et résumée par Sportspromedia, Peter Moore craint que le foot ne réussisse pas à séduire les plus jeunes. « Rester assis sur un canapé pendant 90 minutes, c’est long pour un millenial. […] Il y a une telle pression au niveau du temps maintenant, et seulement 24 heures dans une journée… et si peu d’heures pour jouer à Fortnite.«
On vit à une époque où on a accès à énormément d’offres pour se distraire. Et celles-ci sont généralement disponibles à petit prix; en revanche, si on les cumule, ça commence à chiffrer, bien sûr. Des abonnements pour la musique (Spotify, Deezer), des séries (Netflix, OCS) ou bien des jeux (Game Pass, PSNow) existent. C’est la même pour l’information: une offre Premium tourne autour des 10€ quand les journaux papiers voient chaque année leur prix gonfler.
Il semblerait que l’illimité soit la nouvelle norme. Il semblerait qu’il soit nécessaire de toujours être au courant de tout. Cela crée presque une forme de pression sociale. Cette forme d’anxiété a même un nom: le FOMO. Il faut consommer en quantité pour ne pas être relégué sur le banc de touche. Et au final, il y a un surplus d’informations, un surplus de possibilités. On n’a jamais eu autant de choix, quitte à être dépassé par les événements.